Kobayashi Nao & Lee Min Jun

D'un geste décidé, Nao abaissa la casquette devant ses yeux et sortit du restaurant pour affronter la pluie fine qui tombait sur la ville. En soi, ce n'était pas une grosse averse, mais rien que l'idée de devoir passer les cinq prochaines heures sous l'eau lui déplaisait fortement. Seulement, avait-elle le choix ? Il lui fallait de l'argent, et après avoir passé plus d'une heure à proposer ses services la veille à la sortie des cours, seul le patron de ce restaurant avait daigné lui offrir une mission sans lui demander son âge. Il n'y avait aucun contrat, pas de promesse écrite. Nao le savait, il se pouvait qu'elle rentre bredouille ce soir-là et elle n'aurait aucun moyen de protester contre cela. Mais la jeune fille préférait se dire que l'homme était honnête et lui donnerait les quatre cent yons promis une fois qu'elle aurait fini de distribuer ses prospectus pour attirer de nouveaux clients.

Quatre cent yons. C'était si peu, se dit-elle amèrement. Bien trop peu lorsque l'on savait que les Nice Sleep les moins chères du marché étaient à plus que mille cinq cent yons. Ce n'était pas ce soir-là qu'elle pourrait dormir sereinement, sans être effrayée par l'absence de rêve. Nao en était arrivée à un stade où elle aurait même tout donné pour avoir un cauchemar. Après tout, c'était toujours mieux que ce vide oppressant. Mais sans sa pilule magique, impossible d'échapper au noir. Ce soir encore, elle allait se mettre dans son lit, un livre à la main, et se plonger dans les vies idéales de ses héros favoris pour fuir le sommeil. Déjà une semaine qu'elle ne dormait qu'à peine, sombrant seulement lorsque le malaise était proche et que sa condition ne lui permettait même plus de s'inquiéter et d'avoir peur. Au lycée, elle devait se faire violence pour réussir à suivre les cours, puisqu'il était hors de question que ses parents voient quoi que ce soit. Ils n'étaient pas fous bien sûr, et Nao n'avait pas les moyens de s'acheter des cosmétiques pour masquer les immenses cernes sous ses yeux. C'était la raison pour laquelle elle avait pris soin d'abaisser la casquette fournie par le restaurateur et sur laquelle s'étalait un cochon dansant. Tête baissée mais ton enjoué, elle distribuait ses tracts à chaque passant qui croisait son chemin.

Cela faisait bien une heure à présent que Nao travaillait, et ses vêtements étaient complètement mouillés. Son haut et sa veste lui collaient à la peau, et jamais elle n'avait senti son unique jean la serrer autant. Malgré le bruit ambiant de la ville, elle parvenait à entendre les sons désagréables que produisaient ses chaussures imbibées d'eau à chaque pas qu'elle faisait. Quant à sa casquette, elle ne protégeait plus ses longs cheveux depuis longtemps et certains restaient collés contre son visage ou son cou. Le propriétaire du restaurant lui avait fourni un imperméable en voyant le temps extérieur, mais il lui avait également fait comprendre qu'il était hors de question qu'elle distribue des chiffons aux passants. De ce fait, le seul vêtement qui aurait pu la protéger était en réalité posé sur son bras pour recouvrir les prospectus.

Nao éternua et s'excusa auprès d'un couple qui passait près d'elle à ce moment-là. Avec la fatigue accumulée et le froid qui s'insinuait en elle à travers ses vêtements mouillés, il ne faisait aucun doute que la jeune fille allait tomber malade. « C'est bien ma veine. », pensa-t-elle amèrement. Si ce boulot n'était pas la promesse d'un pas de plus vers son rêve, cela ferait bien longtemps qu'elle serait partie. Non, elle ne serait même pas venue en premier lieu. Mais alors qu'elle frissonnait de plus en plus violemment, Nao se demanda si elle allait être capable de finir sa mission avant de s'écrouler terrassée par la fièvre qui devait l'avoir gagnée à présent.

Dans un mouvement qui s'apparentait plus au réflexe qu'autre chose, la lycéenne continua de distribuer ses tracts en proclamant le slogan de l'enseigne aussi fort qu'elle le pouvait. Son dos se voûtait de plus en plus, poussé vers le bas par le poids de la pluie et son propre état de faiblesse. Et c'est alors qu'elle vagabondait sur la Grande Place sans détacher ses yeux du sol pavé qui commençait à se brouiller qu'elle percuta quelqu'un. Trop faible, Nao manqua de perdre complètement l'équilibre et ne sut comment elle avait fait pour rester sur ses deux pieds. Heureusement, l'impact n'avait pas été très violent. Gênée, elle s'inclina à quatre-vingt-dix degré et s'excusa avant de relever les yeux vers la personne qu'elle avait dérangé. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise et sa bouche s'ouvrit en un O béat. Ses pensées s'affolaient dans son esprit et Nao pensa qu'elle avait effectivement dû tomber après la collision. Elle était tombée et s'était évanouie. Et maintenant, elle rêvait. Oui, cela ne pouvait être que la seule explication. Sinon, pourquoi l'homme de son rêve se tiendrait-il devant elle à l'instant précis ?

Ce fut à peine si l'homme en question lui adressa un regard, comme il l'avait déjà fait quand elle l'avait aperçu près du lac. Parapluie en main, il reprit son chemin comme si de rien n'était, sans même un mot ou un signe de tête. L'estomac noué, Nao le regarda s'éloigner avec la sensation d'un poignard qui s'enfonçait dans son coeur.

« Attendez ! »

Impulsivement, elle avait couru à sa suite et avait accroché sa manche, réunissant le peu de force qui lui restait pour parler.

« S'il vous plaît, ne partez pas. »